Au départ on avait une énorme liasse de billets d’avion.
Mon grand jeu est alors de détacher le pointillé qui les attache à la souche par laquelle ils sont agrafés les uns aux autres. C’est un plaisir simple comme de défaire la cellophane d’un emballage de CD ou de crever une à une, les bulles d’un emballage à bulles.
Or donc cette grosse liasse de billets d’avion fait aujourd’hui moins la maline et c’est le moment un peu magique où il ne reste plus qu’un seul billet dans la liasse : un aller simple vers la maison. C’est aussi le moment où, dans la valise, la quantité de linge sale excède de loin la quantité de linge propre qui se limite maintenant à cette tenue qu’on a choisi de porter dans l’avion.
Si l’on voyage sur Air France, on est presque déjà un peu en France dès le check in. Très vite on repère les français dans la file pour l’enregistrement : ils jouent des coudes, ils soupirent, ils critiquent tout et souvent cherchent le passe-droit d’un air vachement sur d’eux, genre je suis français, je travaille au bout du monde, je voyage sur Air France, on me doit au moins un petit surclassement.
Après c’est l’attente dans l’aéroport, les fausses bonnes affaires mais quand même vachement séduisantes du Duty free. Le Duty free est l’une de clefs de voûte de tout voyage intercontinental. Ce qui se passe dans la tête du voyageur qui se prépare à changer de continent c'est « Je ne suis plus déjà là d’ou je viens et pas encore là où je vais, je suis dans un no man’s land, je m’apprête a effectuer un voyage hors du temps et de l’espace, je n’ai rien à faire d’autre qu’observer les gens, je vais donc aller me délester de ces billets de monopoly que j’ai dans la poche et dont je n’aurai pas l’utilité là ou je vais pour acheter une connerie dont je n’ai pas besoin qui serait moins cher au Marionnaud du coin.
Un de mes plaisirs favoris en attendant l’avion est de guetter l’arrivée de l’équipage. A Paris on ne voit jamais les équipages car ils sont briefés au siège d’air France avant d’être livrés par bus directement au pied l’avion (merci Julien pour ce détail des coulisses des navions). A l’autre bout du monde, pas d’entrée des artistes pour les équipages, ils arrivent comme vous par la petite porte et c’est toujours un moment assez gracieux, toujours très aérien. C’est peut être parce ils n’ont pas besoin de faire la queue et qu’ils sont donc toujours en mouvement qu’on a l’impression qu’ils flottent à travers l’aéroport.
Après ils s’installent dans un coin de la salle de l’embarquement pour le "briefing" et moi j’aime bien laisser traîner mes oreilles à ce moment là pour écouter des trucs un peu futiles pour le passager ordinaire genre : le vol dure 12H30, il y a quatre chaises roulantes, une rock star en première dont il faudra surveiller la consommation de cocaïne, 20 tonnes de melons dans les soutes et un redoutable groupe de teen-agers qui se rendent en France pour un compétition de volley-ball à surveiller particulièrement.
Plus tard et en général de façon séparée, arrivent le pilote et son acolyte, souvent l’air un peu hautain (ça doit être la casquette), genre : « je suis pilote chez Air France sur long courrier, je suis au bout du monde, je vehicule l'image de la compagnie et de la France toute entière à moi tout seul, je m’apprête à ramener de mes mains cette machine de quelques centaines de tonnes à la maison à plus de mille kilomètres par heures, j’aurais bientôt la vie de 300 personnes au bout de mes doigts et j’ai même pas peur..."
Apres c’est champagne, foie gras, dodo, descente, airport, contrôle de police dilettante (c’est fou comme c’est bien gardé la France, le plus souvent il suffit d’avoir un truc qui ressemble vaguement à la couverture d’un passeport français et hop on vous laisse passer…) bagages, queue pour le taxi, taxi, queue dans les embouteillages, stade de France, périphérique bouché ,avenue de Clichy, maison, puis des plaisirs simples comme prendre le courrier qui s’est empilé dans la boite aux lettres, croiser le voisin du dessus, et se demander quelle heure il peut bien être ici et là-bas et essayer de rester éveillé et en rallant sur ce putain de décalage horaire.