Depuis quelques mois, je prends le train pour aller bosser, un petit train qui a le bon goût de passer au cœur des Batignolles et pas très loin de l’endroit où je travaille.
Ce qu’il y a de bien avec ce petit train, c’est qu’il y a toujours de la place pour s'asseoir, et qu’on peut y voir, l’hiver, de chouettes levers de soleil sur downtown la défense (on peut les voir aussi l’été mais cela implique de se lever plus tôt).
Ce qu’il y a de moins bien avec ce petit train, c’est que l’heure de passage des rames se corrèle moyennement bien avec les horaires affichés, que certaines rames semblent se dématérialiser une à deux minutes avant leur heure théorique d’entrée en gare et que quand il pleut, choisir d’attendre dans la zone abritée du quai conduit immanquablement à se retrouver dans un wagon bondé.
L’autre jour, le train qui est entré en gare était plongé dans l’obscurité.
J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un train vide en route (en rail ?) pour le garage. Ce genre de train qui passe sans s'arréter. Celui qui vous met de mauvaise humeur, quand il est déjà trop tard et qu'à cette heure ci, il ne restera plus chez le boulanger qu’un vieux pain de campagne tranché enfermé depuis le matin dans un sac plastique dans le but de parfaire son ramollissement.
Comme ce train presque fantôme s’est finalement arrêté et qu’il y avait des gens dedans, je m’y suis installé dans la pénombre, mon pod vissé aux oreilles pour un petit moment de bonheur absolu.
C'était comme l’autoroute la nuit, comme le cockpit d’un avion dans l'obscurité, comme un souvenir de train de nuit enfant.
Quand le train a fini par arriver à Pont Cardinet, Montmartre était rouge des reflets du soleil couché.
Derrière les fenêtres des immeubles Haussmaniens du boulevard Pereire, on devinait les enfants en pyjamas mangeant leur soupe.
Il y a sur Internet une ribambelle de sites qui pour quelques euros ou bien pour rien du tout, vous permettent de retrouver(ou pas)des camarades de classe de quand vous étiez petit . Et ces sites là ont l’habitude de vous envoyer un mail, à chaque inscription d’un "nouveau" dont les dates et les établissements scolaires coïncident à peu près avec les vôtres et qui a donc une probabilité non nulle d’avoir, lui aussi, été dans la classe de CE1 de Madame Delrieu et d'avoir, lui aussi, porté un pull jacquard sur la photo de classe.
Je ne sais pas pourquoi mais en général ces outils permettent le plus souvent de retrouver ces camarades de classe qui n’ont pas marqué notre scolarité, ceux avec qui on avait le moins d’affinité, bref ceux que l'on a totalement oublié et qu'on a pas du tout envie de revoir.
Pour des raisons qui m’échappent, ce sont les mêmes que l'on a tendance à croiser de façon fortuite dans les rues de Paris.
Quand une telle rencontre se produit, une fois l’étonnement passé, on s’interroge mutuellement pour savoir si l’on habite dans le quartier, comme si on cherchait à donner une explication rationnelle à cette rencontre fortuite extrêmement peu probable.
Ensuite on évoque rapidement le travail, la famille, avant de se promettre qu’on s’appellera bientôt mais en prenant soin de ne pas livrer son numéro de téléphone, car on ne sait jamais.
Vincent Delerm – Les filles de 1973 ont trente ans
Quand j’étais petit, j’étais doté de super-pouvoirs. J’avais par exemple la capacité de me rendre invisible en cachant mes yeux. A peine me rendais-je invisible que la famille entière passait son temps à me chercher partout.
Avec le temps, mon super-pouvoir d’invisibilité s’est un peu émoussé. Adolescent, je cachais mes yeux après le repas, pour disparaître au lieu de faire la vaisselle. Je ne comprenais pas pourquoi mes parents semblaient être capables de me localiser très précisément alors que j’étais, je le savais, parfaitement invisible. Je ne comprenais pas non plus comment, sans pouvoir me voir, ils faisaient pour venir vers moi et me dire : "tu vas pas un peu arrêter avec tes bêtises".
Au travail, je tente encore parfois (sans succès) de me rendre invisible en cachant mes yeux quand j’aperçois le chef au bout du couloir pour éviter qu’il me demande où j’en suis sur le dossier machin.
Par contre lorsque je me trouve dans un restaurant, que j’ai super faim, il arrive que le serveur passe et repasse devant la table où je me trouve comme si je n’étais pas là, preuve que même aujourd’hui il reste des situations dans lesquelles mon super-pouvoir d’invisibilité reste intact (et ce sans même avoir besoin de cacher mes yeux).
Il est des petites choses insignifiantes que l’on fait sans même y penser comme par exemple apposer sa signature sur un papier. Par contre lorsque le document est important, l’exercice est beaucoup plus difficile.
Il m’est ainsi, de façon surprenante, quasiment impossible, à la banque, de réussir une signature correcte au dos de la carte de crédit toute neuve qu'il faut endosser là maintenant tout de suite, c'est obligé, devant le regard scrupuleux de la guichetière pendant qu'elle met en pièce la vieille carte périmée à l'aide de ciseaux à bouts ronds. Je ne connais pas la raison de ce dysfonctionnement sans doute également à l’origine du fait que je suis physiologiquement incapable d’avoir l’air naturel sur un photomaton.
De la même façon, s’il n’y a rien de plus simple que d’uriner (au moins jusqu’à un certain âge), il n’y a rien de plus compliqué que de réussir l’épreuve du remplissage sur commande du flacon destiné à la visite médicale annuelle.
Une technique efficace consiste à boire le plus possible pendant les heures qui précédent, mais cette absorption exagérée de fluide génère à chaque fois une irrespressible envie de pisser et plus l’heure de la visite médicale approche, plus il faut choisir entre l’inconfort de la situation et le risque de panne au moment de l'examen (et la honte qui va avec).
Dans ces moments là il faudrait se détendre et ne penser à rien, seulement voilà, ne penser à rien délibérément est tout aussi compliqué.
Il y a à Paris quelques noms de rues à peu près sublimes qui donneraient presque envie de déménager. Je rêverais ainsi d’habiter rue Corvisart, rue des petits hôtels, impasse des deux anges ou rue des mauvais garçons.
J’ai adoré habiter quelques années rue Déodat De Séverac, une toute petite rue d’à peine 10 numéros perdue dans le 17 ème et très difficile à trouver sur les plans. A l’époque je prenais un malin plaisir à prendre des taxis juste pour les voir râler devant l’effort physique nécessaire pour sortir le plan de Paris de la boite à gant et l’effort intellectuel requis pour trouver la dite rue dans l’index puis dans le carré D7. Bien sûr habiter rue Déodat de Séverac avait aussi quelques inconvénients comme par exemple lorsqu’il était nécessaire de l’épeler au téléphone à une personne anglophone pour réserver une chambre d’hôtel à l’autre bout du monde : « I spell it to you : roue : awe you i, and then space, and then diodatte : di, i, o, di, ai, ti, and then space, and then séverac : s, i, vi, i, awe, ai, si ». Cet épelage prenait en général une bonne vingtaine de minutes et j’étais toujours amusé du résultat en arrivant à l’hôtel car bien entendu personne ne plaçait les accents correctement.
A l’inverse, je pense que la domiciliation dans certaines rues de Paris doit être une grande souffrance par exemple au moment ou l’on donne son adresse pour un premier dîner en tête à tête à l’issue duquel on a la ferme intention de conclure. Ainsi la rue Léon Cosnard, ou bien la rue des deux boules, qui a l’avantage de passer un message clair.
Je reste convaincu qu’un changement de nom de rue doit pouvoir y générer l’écroulement du prix au mètre carré.
Françoise Hardy et Jacques Dutronc - Brouillard dans la rue Corvisart
Voyager vers l’Ouest est facile, il suffit de suivre le soleil. A l’arrivée on ressent comme une petite fatigue, mais déjà il est l’heure de se coucher. On se réveillera le lendemain à l’aube avec l’énergie que l’on aurait s’il était midi (d’ailleurs il est midi). Alors on en profite pour se promener fièrement dans une ville américaine, endormie.
Voyager vers l’Est est plus compliqué, plus douloureux. On ne franchit pas impunément les frontières de l’espace temps, on paye au retour cette énergie matinale surprenante.
Au retour des Amériques, on ne sait plus, si on a faim, si on a soif, si on a envie de dormir, de ne pas dormir. On est prisonnier d’un état second impossible à décrire. Parfois on est saisi d’une fringale à une heure idiote, parfois on est habité de la plus profonde indifférence par rapport au fait qu’il pourrait être l’heure de manger.
Quand on rentre des Amériques on est incapable d’avoir une conversation cohérente.
Quand on rentre des Amériques, on est d’une maladresse absolue, une fois j’ai fait tomber une télé en m’en rendant à peine compte.
Quand on rentre des Amériques, tous les objets sont potentiellement dangereux.
Quand on rentre des Amériques, il faut compter scrupuleusement les moutons, et ne pas trop penser que les vacances sont finies.
Je suis toujours amusé quand dans un avion une dame se rend aux toilettes en y emmenant son sac à main. D’abord parce que je pense qu’il n’y a pas grande utilité à disposer de ses papiers d’identité, de sa carte bleue ou de la photo de ses enfants dans les toilettes d’un avion, et ensuite car la probabilité de se faire voler son sac à main pendant que l’on se trouve dans les toilettes d'un avion est quand même assez faible. Un hypothétique voleur aurait du mal à s’enfuir à plus de vingt mètres, et serait à mon avis assez facile à démasquer.
Est-ce qu’avec l’âge, on devient forcément comme ces petites vieilles qui, quand elles vont chercher un recommandé à la poste de l’avenue de Clichy, sortent tour à tour de leur caddie leurs factures d’électricité, leur police d’assurance vie, les hypothèques de la maison, les photos de leurs petits enfants et le carnet de vaccination de leur chat avant de mettre la main sur leur pièce d’identité.
En même temps ce n’est pas forcément une question d’âge. Je connais des gens assez jeunes, qui se trimballent avec vingt ans de reçus de carte bleue dans leur portefeuille au point que celui-ci est pratiquement impossible à replier.
Pendant des années Vancouver ne m’évoquait rien d'autre qu’une chanson de Véronique Samson, une ville tellement lointaine qu’elle était inaccessible, presque la plus inaccessible des villes.
Et puis du temps que je vivais au Canada, il y a quelques années déjà, j’ai eu l’occasion de m’y rendre pour un congrès scientifique. Les congrès scientifiques de grandes impostures qui permettent à des scientifiques de se retrouver assez régulièrement aux frais de la princesse dans des endroits le plus souvent plutôt très sympas pour échanger rapidement sur des problématiques scientifiques de haute volée avant de se dépêcher d’aller boire des bières en ville. Aujourd’hui, je ne me rappelle d’ailleurs d’aucune des présentations auxquelles j’avais assisté à l’époque ni même du thème global de ces conférences, par contre tout à l’heure j’ai très bien reconnu le restaurant où l’on avait été manger des chicken wings.
Aujourd’hui je redécouvre Vancouver. Vancouver fait partie de ces villes où l’on se sent bien tout de suite.
Vancouver est un peu comme un New York dans lequel on serait moins prisonnier.
Pour un peu, on poserait ses valises et on commencerait une vie ici.
Je me suis souvent demandé si les chanteurs québécois utilisent leur vrai nom ou bien le camouflent derrière un pseudonyme.
Un rapide tour d’horizon chez Archambault permet de se rendre compte que l’on peut s’appeler Marie-Chantal Toupin ou Claudine Mercier et vendre quand même des disques, ce qui serait difficilement imaginable en France.
De la même façon, se nommer Lucien Bouchard ou Céline Galipeau ne semble en rien être un frein au développement d’une carrière politique ou télévisuelle.
De deux choses l’une, soit la notion de pseudonyme n’existe pas ici, soit tous ces gens ont choisi leur nom de scène après avoir perdu un pari stupide.
Maintenant que c'est les vacances, il y aura peut-être un peu moins souvent des billets ici. Par contre du coup, comme c'est les vacances, on pourra trouverici un carnet de voyageavec des morceauxde caribou dedans.