Je sors de chez le dentiste. Je déteste aller chez le dentiste, en fait je déteste rendre visite au corps médical en général mais le dentiste est classé assez haut dans mon hit parade des trucs pour lesquels il faut vraiment que je me fasse violence. Je crois que c’est un truc de garçon ça la phobie du docteur. Quel que soit le symptôme, un Doliprane devrait faire l’affaire, un double si besoin est, et on termine chez le médecin quand il n’y a vraiement plus de Doliprane dans la boite.
Seulement voilà, si un gros rhube ou une mauvaise toux finit souvent par disparaître tout seul, il est plus rare qu’une carie cicatrise toute seule (je sais bien qu'on ne peut pas parler de cicatrisation pour une carie, mais en même temps j’ai fait chimie moi, pas dentaire…).
Qu’on le veuille ou non, on est obligé d’avoir une confiance aveugle dans son dentiste. D’abord il pourrait lui être facile au cours d’une visite de contrôle de donner un p'tit coup de fraise ici et là pour être sur de vous voir revenir quelques mois plus tard le supplier de démarrer un gros chantier fort lucratif en vous tenant la joue.
Et puis au contraire du réparateur de chaudière ELM LEBLANC on ne voit absolument pas ce qu’il fait (et en un sens c’est tant mieux). J’ai une règle simple chez le dentiste : fermer les yeux tout du long, d’abord ça permet d’avoir l’impression de ne pas être là, d’être juste en train de faire un mauvais rêve, et puis aussi parce que je ne veux absolument pas savoir quelles chignoles, pinces, forceps sont nécessaires au fraisage, curetage, polissage de mon intérieur bucco dentaire.
Je me rappelle avoir par accident aperçu une paire de tenailles un jour qu’on s’apprêtait à m’extraire une dent de sagesse. Cet outil n’avait rien à envier aux engins de tortures médiévaux les plus raffinés. Peu après cette vision, j’avais dans la tête cette image du type qui essaie d’arracher un clou particulièrement peu accessible au fond d’un placard reculé.
Y’a plein de trucs que j’aime pas chez le dentiste, l’attente dans la salle d’attente et entendre un gamin hurler dans la pièce d’à coté, le voir ressortir avec des restes de grosses larmes sur les joues, l’odeur de clou de girofle, les vibrations de la chignole qui raisonnent dans le corps tout entier, le détartrage et ce moment précis où la toute petite fraise s’aventure entre la dent et la gencive des incisives de devant et qu’on est tout surpris quand on se rince qu’il reste encore des dents ou encore ne pas du tout pouvoir avaler sa salive du tout le temps interminable de la prise d’une empreinte.
De façon surprenante, y’a des trucs que j’aime bien aussi comme le cabinet ultra moderne avec des écrans partout qui ressemble à la passerelle de l’USS entreprise ou le fauteuil atomique à 24 dégrès de liberté.
Quand j’étais petit j’aimais bien le petit bonbon auquel on avait droit à la fin de la séance si on avait été sage, ce qui quand on y pense est quand même pour un dentiste le meilleur moyen de garantir la pérennité de son fond de commerce.
Mais ce que j’aime par-dessus tout chez le dentiste c’est faire un chèque. Devoir faire un chèque, ça veut dire qu’on a pas besoin de reprendre un rendez-vous et qu’on a au moins six mois de liberté devant soi. C'est encore meilleur quand vous faites ce chèque à la fin d’une visite de contrôle juste après avoir entendu un « tout va bien, rien a signaler ». En général on descend les marches quatre à quatre, on traverse la rue en sautillant en de disant que le monde est beau…
Comme je disais à mon dentiste tout à l’heure, finalement plus on vient vous voir et moins on vient vous voir.
Lui a acquiescé d’un sourire bienveillant, j’aime bien mon dentiste.