Je prends beaucoup de taxis. Non pas par goût de prendre des taxis, mais comme une conséquence directe du fait que je prends beaucoup d’avions et que je n’ai pas de voiture.
Il y a des chauffeurs de taxi qui vous conduisent d’un point A à un point B sans un mot, sans un regard. Parfois vous adoreriez tomber sur ce chauffeur de taxi muet pour vous conduire très tôt le matin à l’aéroport mais en général quand vous n’avez pas envie de parler, vous tombez plutôt sur un bavard qui meurt d’envie de vous faire un brin de causette. Paris dort encore, les travestis vont se raser, les strip-teaseuses vont se rhabiller, normalement à cette heure ci vous êtes au fond de votre lit, là vous êtes tout vermoulu vous n’avez qu’une envie, qu’on vous laisse tranquille au fond de cette Mercedes, mais vous ne pouvez échapper à cette conversation passionnante sur le fait que rien ne va dans ce pays.
Je me rappelle d’une chauffeuse de taxi qui ne m’avait pas décroché un mot jusqu’à ce que je remarque avec étonnement la présence d’un chien sur le siège passager. J’ai alors eu droit au bulletin de santé détaillé du dit chien qui était sujet à des crises d’épilepsie dont aucun détail ne m’a été épargné pendant l’intégralité du reste du trajet. Je me rappelle de ce chauffeur de taxi visiblement très mal dans sa tête qui insultait son taximètre sous le prétexte qu’il avait émis un bip déplacé avant de lui taper dessus en lui criant « toi je vais te casser la tête ». Le tout en atteignant en un temps record la vitesse de 140 km/heures sur le boulevard circulaire de la Défense.
Je me rappelle avoir failli perdre douze fois la vie à bord de ce taxi à Marseille dont la conduite avait sans doute inspiré les scénaristes du film taxi. Je me rappelle lui avoir lâchement menti quand en me tendant sa carte il m’avait demandé si je reprenais l’avion le soir.
Je me rappelle avoir lu mille fois sur le visage des chauffeurs de taxi l’expression caractéristique du mensonge au moment où ils vous annoncent que la machine à carte bleue est en panne alors que vous n’avez pas de liquide. Quelques minutes plus tard votre valise et vous parcourez tout l’aérogare à la recherche d’un improbable distributeur de billet avant de traverser de nouveau le terminal dans l’autre sens et de vous acquitter enfin de cette dette sur laquelle votre gentil chauffeur n’aura pas à s’acquitter de la commission de 3 % d’un paiement par carte.
Je me rappelle être rentré souvent à pied le soir, en ne croisant que des taxis occupés, des taxi libres que ça n’intéresse pas d’aller dans votre rue, ou des taxis vides qui semblent faire mine de ne pas vous avoir vu héler. (Héler est un verbe désuet comme je les aime qu’on ne peut employer dans nulle autre situation que celle de héler un taxi).
Par bonheur, je me rappelle aussi des courses sans histoires dans Paris au petit matin, des trajets presque aériens sur les voies sur berges désertes la nuit avec les monuments illuminés qui défilent derrière les fenêtres.